Pourquoi je suis en colère? Je suis tout le temps en colère. Je n’arrive pas à laisser tomber. Pourquoi je n’arrive pas à laisser tomber?
– la personne valide qui se gare systématiquement, tous les matins, sur une des deux places réservées aux handicapés, parce que c’est la plus près du quai. Comme ça, sa grande ado n’aura pas à traîner trop loin sa grande carcasse dégingandée et elle pourra la voir monter dans le train. Et qui pense: "Il y en a une autre, une place handicapée et je reste au plus dix minutes. alors, ce n’est pas si grave!"
– ceux qui se garent exactement dans l’accès au parking, parce que c’est juste en face de l’entrée de la gare. Pour gagner trois mètres et permettre à sa femme/ son fils/ sa fille/ sa mère/ son mari de moins marcher pour aller acheter son billet, ou pire, sa baguette de pain au boulanger tout proche. Et qui laisse le moteur tourner; qui te voit dans son rétroviseur, toi qui veux rentrer se garer dans le parking, dont il bloque l’entrée. Il pourrait avancer de deux mètres. Alors, tu pourrais enfin entrer sur le parking garer ta voiture et te diriger tranquillement vers le quai, pour attendre ton train. Mais non: il s’en fout. il n’en a pas pour longtemps; alors, tu peux bien attendre, toi dans ta voiture, derrière la sienne dont le moteur tourne toujours. La seule chose qui le fera bouger, c’est la voiture qui va le croiser et qui va frôler son rétroviseur latéral de son précieux bolide d’un peu trop près.
ça me met hors de moi. Je n’arrive pas à ne pas les voir, je n’arrive pas à en faire abstraction. Je n’arrive pas à ne pas être hors de moi. Autour, beaucoup de gens font ça très bien. Pourquoi moi, est-ce que je n’y arrive pas?
Ma mère va mourir. Vous me direz: c’est pas un scoop; tout le monde meurt. C’est dans l’ordre des choses; nous sommes tous des morts en sursis. Sauf qu’on ne connaît pas sa date de péremption. Ma mère va mourir et je sais que ce sera dans une période comprise entre huit et trente six mois. Survie médiane: 14 mois et demi. Malgré les traitements qui commencent. Malgré l’espoir.
Deux semaines que je le sais, que je suis seule à savoir et que cette idée ne me quitte plus. Deux semaines où je ne fais même plus le décompte en mois ou en semaines, mais en Noëls ou en anniversaires. Entre un et trois Noëls; entre un et trois autres anniversaires. Voilà le temps qu’il nous reste. Comme il est ridiculement court!
Ce sentiment qu’il n’y a plus de temps à perdre. Et ce sentiment irrépressible qu’on en a déjà perdu tellement et que tous les moments qui restent ne suffiront pas à combler tous les moments que l’on a choisi de ne pas vivre auparavant.
Paroles de Terminales littéraires (ça ne s’invente pas; et je vous jure que là, j’aurais préféré inventer!):
"Tu vas voir la Mort aux trousses, d’Hitchcock avec le Foyer?! Tu vas voir, c’est trop débile! Rien que quand tu vois les images, c’est tout pourri! Avant, ils nous avaient emmener voir les rivières pourpres et tout, alors, on pensait qu’il allait y avoir du sang! Ben rien. Je te conseille de dormir du générique de début au générique de fin! Moi, c’est ce que j’ai fait: générique de début: tout pourri, un truc de ouf! Après, tu vois Hitchcock qui descend d’un bus. Après j’ai dormi et je me suis réveillée au générique de fin. Nous, ils nous ont fait payer 2,50 euros. Payer 2,50 euros pour dormir dans la salle, j’aurais pu le faire chez moi.
Et puis, ils parlent vite; quand tu parles pas l’anglais, c’est pas la peine, tu comprends rien.
-Mais, il y a pas les sous-titres?
– Si. Mais même si tu lis, tu vas rien comprendre, tellement c’est pourri. Et même les sous-titres, ils parlent vite.Et L’histoire, elle est trop bizarre: c’est un mec qui se fait chasser à la place d’un autre mec, après il est poursuivi par un avion et il part avec la meuf à la fin. Trop débile! Tu vas voir, c’est trop n’importe quoi. C’est spécial, Hitchcock!"
Bon: marquer une idée obsédante sur un bout de papier avant de le brûler pour s’en débarrasser, ça ne marche pas. En revanche, trois jours dans un groupe franco-anglais où les francos ne parlent pas anglais et les anglais pas le franco et où c’est à vous de faire la traduction quasi-permanente, ça marche!
Les huiles de massage, la mer calme et apaisée au lever du jour, un verre de vin, l’habitacle d’une voiture neuve.
Le ragout de mouton qui mijote sur le feu, un bouquet de lilas blanc, le camphre, une gousse de vanille et un bâton de cannelle, la cire des antiquaires, les lèvres de mon amoureux. Sa peau. Un verre de Lacryma Christi. Des roses. La forêt, après la pluie.
Un brin de muguet. On ne peut pas laisser le muguet à l’intérieur de la maison; son parfum rend le chat complètement fou.
La colle Cléopâtre qu’on utilisait à l’école maternelle, si difficile à étaler. L’odeur d’un homme que j’ai croisé dans le train. Il est entré en même temps que moi dans le compartiment et son odeur a littéralement envahi le lieu Un parfum très minéral et très marin.
Les fraises Tagada. Les galets. Le bois flotté. Une tasse de café fumante.
Je ne sais plus où j’ai lu que pour se débarrasser d’une idée stressante, envahissante, il fallait l’écrire sur un morceau de papier et ensuite brûler le-dit morceau de papier.